par Frédéric Morinet *
Il est licite de parler des thérapies géniques et non de la thérapie génique. Penchons-nous sur ce qui est effectué en France. Trois équipes se sont lancées dans l’aventure ; celles de Philippe Leboulch, Patrick Aubourg et Marina Cavazzana respectivement pour la b-thalassémie (1), l’adrénoleucodystrophie (2) et les déficits immunitaires (3).
La β-thalassémie, anomalie héréditaire de l’hémoglobine, résulte en l’absence de synthèse des chaînes β de la précipitation in situ des chaînes α, la formule de l’hémoglobine étant α2-β2. On imagine mal les sujets du bassin méditerranéen, de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie du Sud-Est atteints de cette pathologie bénéficier de la thérapie génique, eu égard à des aspects médico-économiques ; néanmoins l’approche pharmacologique décevante pour traiter cette hémoglobinopathie et la faible efficacité de la greffe de moelle osseuse dans cette indication justifiaient une autre approche. La thérapie génique utilisant des vecteurs lentiviraux (dérivés du virus du SIDA) a permis de rendre un certain nombre de patients indépendants d’une transfusion sanguine pendant 8 ans, sans effet secondaire.
L’adrénoleucodystrophie est une maladie neurodégénérative sévère liée à l’X. Elle associe une démyélinisation progressive du système nerveux central et périphérique, une insuffisance surrénale et une accumulation d’acides gras à très longue chaîne dans le plasma, les fibroblastes et les tissus. Elle résulte d’une mutation du gène ABCD1 qui code pour une protéine peroxysomale qui n’est plus fonctionnelle pour éliminer les acides gras à très longue chaîne. Les avancées de la thérapie génique utilisant des vecteurs lentiviraux pour cette maladie sont préliminaires mais là encore soulignent la sécurité de ces vecteurs.
Devant un déficit immunitaire rare de l’enfant, la greffe de moelle est en première intention. En cas d’impossibilité ou d’échec, l’utilisation de la thérapie génique dans cette situation mérite d’être discutée. Celle-ci a fait appel dans un premier temps à des vecteurs dérivés des γ rétrovirus (le virus murin du cancer mammaire est un γ rétrovirus) responsables de mutagénèse insertionnelle, autrement dit de leucémies chez 4 enfants sur 9. Ce demi-échec était prévisible avec de tels vecteurs et devrait être évité avec les vecteurs lentiviraux. Ceci dit, grâce au travail de fourmi des hématologistes cliniciens, 90 % des leucémies de l’enfant sont en rémission avec une guérison complète dans 70 % des cas. Depuis l’introduction de vecteurs lentiviraux, en 2006, aucune leucémie n’a été observée chez plus de 100 patients présentant un déficit immunitaire ; un très récent essai clinique utilisant justement ce type de vecteurs dans le syndrome de Wiskott-Aldrich, déficit combiné de l’immunité récessif lié à l’X dû à une mutation du gène WAS, montre un réel bénéfice clinique chez 6 des 7 patients après deux ans de recul, toujours sans effet secondaire notable ; il s’agit d’un résultat encourageant établi par l’équipe de Marina Cavazzana qui mérite confirmation à plus long terme (4).
En conclusion, dans ces trois situations cliniques sus-citées, en regard de la greffe de moelle, la thérapie génique constituerait une approche thérapeutique séduisante notamment grâce à l’utilisation de vecteurs lentiviraux dont la sécurité, non seulement en France mais également à l’échelle internationale, semble se confirmer.
Références
(1) Payen E, Colomb C, Negre O, Beuzard Y, Hehir K, Leboulch P. Lentivirus vectors in β-thalassemia. Methods Enzymol 2012 ; 507 : 109-24.
(2) Biffi A, Aubourg P, Cartier N. Gene therapy for leukodystrophies. Hum Mol Genet 2011 ; 20 (R1) : R42-53.
(3) Cavazzana-Calvo M, Fischer A, Hacein-Bey-Abina S, Aiuti A. Gene therapy for primary immunodeficiencies: Part 1.Curr Opin Immunol 2012 ; 24 : 580-4.
(4) Hacein-Bey-Abina S, Gaspar HB, Blondeau J, Caccavelli L, Charrier S, Buckland K, et al. Outcomes following gene therapy in patients with severe Wiskott-Aldrich syndrome. JAMA 2015 ; 313 : 1550-63.